Les trafiquants de drogue vont payer des impôts
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Dans les Bouches-du-Rhône, l’administration fiscale intensifie ses efforts contre les revenus issus des trafics illégaux, en particulier celui de la drogue. Grâce à une coopération renforcée entre institutions et à des formations ciblées, les services de l’État se dotent d’outils inédits pour taxer les profits des trafiquants de drogue.
Une nouvelle stratégie contre une économie souterraine
Face à une économie parallèle florissante, l’État affine sa riposte. Dans les Bouches-du-Rhône, la direction régionale des finances publiques a engagé une action déterminée pour identifier et taxer les revenus issus du trafic de drogue. Ce type de fraude, longtemps difficile à appréhender pour le fisc, fait désormais l’objet d’une attention particulière, soutenue par un dispositif innovant mis en place avec le concours d’autres services publics.
En 2024, ce sont quelque 6 100 contrôles fiscaux qui ont été réalisés dans le département, permettant à l’administration de collecter 300 millions d’euros. Un chiffre conséquent, mais qui ne représente qu’une partie d’un plan plus vaste de lutte contre les flux d’argent illégal.
« La fraude fiscale est aujourd’hui devenue une industrie criminelle », a affirmé Catherine Brigant, directrice régionale des finances publiques, dans un entretien relayé par La Provence. Elle a souligné que si 98 % des particuliers et professionnels respectent volontairement leurs obligations déclaratives, il est nécessaire de cibler les exceptions avec des moyens plus musclés.
Suivre l’argent des trafiquants de drogue
L’élément clé de cette nouvelle approche réside dans le développement d’une procédure spécifique pour taxer les revenus issus des trafics de stupéfiants. Une initiative rendue possible grâce à la coopération entre administrations fiscales, judiciaires et sociales, mais aussi par le soutien des services de douanes et des forces de sécurité.
Des fonctionnaires ont été spécialement formés pour identifier les signes révélateurs d’un enrichissement illégal et pour savoir comment « tracer l’argent issu des trafics », selon les mots de Catherine Brigant. L’idée n’est pas seulement de sanctionner pénalement les délinquants, mais également de les atteindre là où ça fait mal : sur le plan financier.
Cette méthode repose sur l’analyse de modes de vie manifestement déconnectés des revenus déclarés, sur la surveillance de flux financiers suspects, ou encore sur des croisements de données entre organismes. Une personne sans activité connue qui achète des biens de luxe ou effectue des virements importants peut désormais faire l’objet d’une taxation forfaitaire, sur la base d’un faisceau d’indices.
Une mobilisation nationale
La démarche engagée dans les Bouches-du-Rhône s’inscrit dans une politique nationale plus large. En 2023, la France a récupéré 13 milliards d’euros issus de la lutte contre la fraude fiscale, sur un total estimé à 20 milliards de montants fraudés. Une performance en nette hausse, qui témoigne de la volonté de l’État de ne plus laisser prospérer les économies clandestines.
Dans le département, 200 agents des finances publiques sur les 2 200 en poste sont affectés à des missions de contrôle, répartis au sein de huit brigades départementales de vérification. Deux de ces brigades se concentrent sur les formes de fraude les plus complexes, souvent liées à des montages opaques ou à des revenus illégaux dissimulés.
Ces équipes disposent désormais de nouveaux outils technologiques et d’un accès facilité à certaines données bancaires ou notariales, renforçant leur capacité à détecter les anomalies.
Un message clair : nul n’échappe à l’impôt, pas même les trafiquants de drogue
En ciblant les trafiquants de drogue, l’administration fiscale envoie un signal fort : même les acteurs de l’économie souterraine doivent rendre des comptes. Cette approche a également une valeur symbolique : elle redonne de la crédibilité à l’action publique dans les quartiers les plus touchés par le trafic, où l’impunité apparente des revendeurs alimente souvent un sentiment d’abandon.
Elle permet aussi de briser le mythe d’un enrichissement rapide et sans conséquences, en démontrant que le fisc peut frapper au portefeuille même sans condamnation pénale préalable. En taxant les trafiquants sur leurs signes extérieurs de richesse, l’État affirme sa volonté de rétablir une forme d’équité fiscale.
Un modèle appelé à s’étendre ?
L’expérience des Bouches-du-Rhône pourrait inspirer d’autres départements. Les services fiscaux testent ici une forme de lutte contre le trafic qui ne passe pas uniquement par la justice pénale, mais par la pression financière. C’est une nouvelle arme dans l’arsenal de l’État, complémentaire aux actions policières et judiciaires, et potentiellement plus efficace sur le long terme.
Alors que la lutte contre les trafics reste un enjeu majeur de sécurité publique, la mobilisation du fisc en première ligne pourrait bien changer la donne.