Le Sénat américain s’apprête à voter une législation pour réguler les stablecoins, ces cryptomonnaies censées offrir une stabilité inédite dans un univers numérique encore volatil. Entre promesse de modernisation des paiements et risques systémiques, l’encadrement de ces actifs devient une priorité à Washington.

Une crypto pas comme les autres

À la croisée des chemins entre monnaie numérique et finance classique, les stablecoins prennent une place de plus en plus importante dans l’écosystème des cryptomonnaies. Contrairement au bitcoin ou à l’ether, leur objectif est de maintenir une valeur constante. Pour cela, ils s’appuient sur des réserves en actifs tangibles, comme le dollar ou des métaux précieux. Le principe est simple : pour chaque jeton en circulation, l’émetteur affirme détenir l’équivalent en réserve, garantissant ainsi la parité.

Les plus célèbres, comme le Tether (USDT) ou l’USDC de Circle, sont adossés au dollar américain. Ce mécanisme séduit de nombreux utilisateurs, notamment dans les pays où les monnaies locales sont instables. En Argentine, au Nigeria ou en Turquie, ces cryptomonnaies stables permettent de contourner les restrictions monétaires et de sécuriser l’épargne.

Mais leur usage ne se limite plus à la simple conversion entre cryptomonnaies. Les stablecoins sont aujourd’hui utilisés pour des paiements internationaux, des transferts rapides, ou encore dans des applications de finance décentralisée. Selon la Deutsche Bank, leur volume de transactions a même dépassé celui de géants comme Visa et Mastercard en 2024.

Croissance rapide des stablecoins, mais risquée

En mai 2025, la valeur totale du marché des stablecoins a atteint 246 milliards de dollars, contre seulement 20 milliards en 2020. Un bond spectaculaire qui attire non seulement les investisseurs mais aussi les autorités financières. Les États-Unis veulent aujourd’hui mieux encadrer ce marché, qui pourrait, en cas de dérapage, mettre en danger la stabilité financière globale.

Le précédent de 2022 reste dans toutes les mémoires. À cette époque, l’effondrement du stablecoin Terra, censé maintenir sa valeur via un algorithme complexe et non des réserves tangibles, avait provoqué une onde de choc dans l’ensemble du secteur. La perte de confiance avait entraîné une chute brutale de sa valeur et un mouvement de panique parmi les détenteurs, qui tentaient de vendre leurs jetons, forçant l’émetteur à liquider en urgence ses actifs de garantie.

C’est ce type de scénario que Washington veut désormais éviter. Le projet de loi soumis au Sénat prévoit que tout émetteur de stablecoin opérant sur le territoire américain devra détenir des réserves en actifs immédiatement mobilisables, comme des liquidités ou des bons du Trésor. Des audits réguliers et des contrôles renforcés sont également envisagés pour les plus grosses plateformes.

Enjeux économiques et géopolitiques des stablecoins

Au-delà de la sécurité des utilisateurs, cette régulation vise aussi des objectifs plus larges. En forçant les émetteurs à acheter et conserver des actifs américains, comme la dette souveraine, les États-Unis espèrent stimuler la demande pour le dollar et renforcer son statut de monnaie dominante.

« Ce cadre pourrait permettre à la fois de sécuriser le secteur et de soutenir le rôle du dollar dans l’économie mondiale », note un analyste financier proche du dossier. Un point particulièrement stratégique alors que d’autres pays, comme la Chine, développent leurs propres monnaies numériques d’État.

Selon Murat Kantarcioglu, professeur en cybersécurité à Virginia Tech, « le principal danger aujourd’hui vient du manque de garanties solides. Si l’émetteur n’est pas digne de confiance, ou s’il devient la cible d’un piratage, les conséquences peuvent être dramatiques. » L’univers des cryptomonnaies reste encore fragile, et les stablecoins n’échappent pas à cette réalité.

Une initiative qui pourrait faire école

Si le texte est adopté, il pourrait servir de modèle pour d’autres grandes puissances économiques. L’Union européenne et plusieurs pays d’Asie étudient eux aussi la meilleure manière d’intégrer les stablecoins dans leur cadre réglementaire. Le Japon a déjà adopté une loi encadrant les cryptomonnaies stables, tandis que la Banque centrale européenne travaille sur un euro numérique qui pourrait concurrencer ces initiatives privées.

Reste à savoir si cette régulation américaine permettra de rassurer les investisseurs sans brider l’innovation. Car dans un secteur aussi dynamique, la ligne est fine entre surveillance et frein à la croissance.

En s’attaquant de front aux stablecoins, les États-Unis espèrent établir un équilibre entre développement technologique et sécurité financière. Un pari ambitieux, à l’heure où la frontière entre monnaie virtuelle et économie réelle devient de plus en plus floue.