Promesses non tenues, polémiques : le nouveau régime sénégalais dans l’impasse ?
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Six mois après son élection, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye peine à incarner le changement et à obtenir des résultats tangibles pour une population sénégalaise de plus en plus sceptique. Entre promesses non tenues et polémiques politiciennes, le nouveau régime maintient sa rhétorique populiste pour tenter d’éviter une sortie de piste lors des législatives du mois de novembre.
Un début de mandat marqué par l’immobilisme
C’est le gros point de frustration au sein de la population sénégalaise. Alors que Bassirou Diomaye Faye et son mentor (désormais Premier Ministre) Ousmane Sonko, avaient promis un Big Bang économique et social pour tous les Sénégalais, les premiers mois du nouveau régime sont marqués par une relative inaction gouvernementale.
Il est de coutume, au lendemain d’une alternance, de voir se multiplier des actes forts pour imprimer la nouvelle orientation du pays. Dans le cas du gouvernement PASTEF (le parti fondé par Ousmane Sonko), on pouvait s’attendre à des mesures sociales visant à améliorer le quotidien des Sénégalais, et en particulier des classes populaires et des jeunes ayant massivement voté pour Bassirou Diomaye Faye. Il n’en a rien été.
Hormis des mesures à minima sur le prix des denrées de base qui n’ont pas eu les effets escomptés en matière de pouvoir d’achat, les résultats sont maigres pour le nouveau régime. Les grandes promesses de campagne sur la lutte contre la corruption et la gouvernance ont vite été remises au placard, tout comme les discours enflammés contre le néo-colonialisme français et un abandon du CFA.
Alors que s’ouvre la campagne des élections législatives, les critiques s’intensifient, mettant en cause un gouvernement inactif dont l’absence d’avancées tangibles traduit un manque de préparation… voire de l’incompétence. De nombreux observateurs annoncent la possibilité d’un scrutin compliqué pour le PASTEF.
Méthodes politiques contestées et accusations d’instrumentalisation de la justice
A l’image d’un Donald Trump aux Etats-Unis, d’un Jean-Luc Mélenchon ou d’une Marine Le Pen en France, Ousmane Sonko est une personnalité très clivante et polémique sur la scène politique sénégalaise. Il a construit son ascension, et celle de son poulain, Bassirou Diomaye Faye, autour de discours contestataires et démagogiques centrés sur le « tous pourris » et appelant à renverser la table. Sauf que c’est maintenant eux qui président aux destinées du peuple sénégalais.
Désormais que le PASTEF est le parti au pouvoir, il jouit de relais institutionnels et médiatiques extrêmement puissants qui rendent plus préoccupants encore les discours populistes et l’autoritarisme d’Ousmane Sonko et des caciques du PASTEF qui ne semblent pas faire grand-cas de la séparation des pouvoirs ni de l’Etat de droit. Inquiétant dans un pays comme le Sénégal qui fait figure d’exemple démocratique dans la région.
Ces dernières semaines, la création d’une cagnotte ouverte aux membres du PASTEF a suscité un début de polémique, et fait craindre à de nombreux observateurs des risques de dérives et de corruption. « Cette démarche risque d’encourager une corruption voilée où l’accès aux hautes fonctions dépend non seulement de la compétence, mais aussi de la capacité à financer les campagnes du parti », s’est récemment indigné Takku Wallu Sénégal, la coalition rassemblant les principaux partis de l’opposition.
En parallèle, la société civile sénégalaise s’émeut de la création d’une Haute Cour de Justice, proposée par Ousmane Sonko. « L’idée est de traquer les responsables politiques de l’ancien régime. Cela pose un sérieux problème d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Sous couvert de justice, il s’agit avant tout d’une tentative de neutralisation d’opposants pour s’assurer une domination politique. Le fait que le Premier ministre conditionne la création de cette Cour à une victoire législative montre bien son intention d’utiliser l’appareil judiciaire comme un outil de règlement de compte, au lieu de promouvoir une véritable justice impartiale ».
L’opposition affirme de son côté que le gouvernement souhaite détourner l’attention des défis réels auxquels sont confrontés les Sénégalais, en menant une « chasse aux sorcières » contre l’opposition. Histoire de mieux masquer son inaction et son incapacité à gouverner.
L’opposition dénonce une faillite mensongère et un manque de transparence
Depuis son entrée en fonction, le gouvernement Sonko s’efforce de justifier son immobilisme en affirmant avoir hérité d’un État proche de la faillite. Une accusation réfutée par Takku Wallu Sénégal, qui rappelle que le gouvernement est sur le point de débloquer 8 milliards de FCFA pour aider les populations locales touchées par les inondations de ces dernières semaines. Une enveloppe qui contredirait l’argument d’une crise budgétaire de nature à paralyser la politique nationale.
« L’argent est là, et l’Etat est loin d’être en faillite. Le gouvernement actuel prouve, par ses actions, qu’il dispose des ressources nécessaires pour intervenir dans les crises, contredisant ainsi ses propres mensonges. En réalité, ces accusations de faillite n’ont été qu’un écran de fumée pour justifier leur inaction, masquer leur manque de préparation et de compétence. Cela démontre clairement que le gouvernement actuel a trompé les Sénégalais en dénigrant l’ancien régime pour détourner l’attention de sa propre incapacité à gérer les affaires du pays », s’est indigné Takku Wallu Sénégal.
Par ailleurs, le Fond Monétaire International (FMI) lui-même n’a jamais validé les accusations de faillite portées par Ousmane Sonko, appelant plutôt à des réformes audacieuses pour garantir la viabilité budgétaire du pays. De quoi alimenter les critiques sur la stratégie du gouvernement, qui semble plus préoccupé par l’élaboration de justifications que par l’action.
Le FMI conseille également à l’exécutif d’adopter une transparence concernant le budget de l’Etat. « La transparence étant une valeur que je juge cardinal en politique, je me tiens ainsi que les anciens ministres de l’Économie de mon gouvernement, à disposition pour répondre à toutes les instances de contrôle qui prouveront notre innocence et dévoileront les méthodes staliniennes du duo Faye-Sonko », a pour sa part assuré l’ancien Premier ministre Amadou Ba.
Un audit budgétaire prématuré selon l’ancienne équipe gouvernementale
L’un des sujets les plus controversés reste l’audit du budget national initié par le gouvernement, dont les conclusions ont été publiées sans attendre la consultation de la Cour des Comptes. Pour Takku Wallu Sénégal, il est « prématuré », voire « irresponsable » d’utiliser ce document pour discréditer l’héritage de l’ancien président Macky Sall, et justifier la politique actuelle.
La coalition estime également que le gouvernement aurait dû attendre que les anciens ministres des Finances puissent exprimer leurs observations. Sans quoi le principe du contradictoire ne peut être respecté.
En tirant des conclusions précipitées, le gouvernement affiche, d’après Takku Wallu Sénégal, « son manque de respect pour les institutions, et bafoue la séparation des pouvoirs, principe essentiel à la survie du modèle démocratique sénégalais ». La coalition souligne aussi que les accusations portées dans cet audit mettent en cause « l’intégrité » de centaines de fonctionnaires du ministère des Finances, et jettent le doute sur « leur professionnalisme ». Ils sont implicitement accusés d’avoir protégé et caché des abus.
« En plus d’un manque criant de considération pour des Sénégalais qui travaillent pour et au sein de l’administration, cibler un corps administratif entier sans preuve participe à une détérioration de la confiance de nos concitoyens envers nos institutions et fragilise la crédibilité de l’État », poursuit Takku Wallu Sénégal.